Mis à jour le 20 août 2021
Quand j’ai reçu ce témoignage il était « brut » – comme parfois dans les témoignages sur le burnout. Un long, très long fil continu, racontant d’une traite cette descente aux enfers. Pour le rendre lisible, j’ai dû le remettre en forme : corriger les fautes, constituer des paragraphes… ça m’a pris deux mois. Difficile en effet de rester longtemps sur un témoignage d’une telle intensité, quand chaque phrase, chaque hésitation, laissent transparaître la souffrance de cette expérience. En le sortant aujourd’hui, j’espère qu’il n’a rien perdu de sa force et de sa portée. J’espère aussi qu’il sera plus accessible, plus lisible – car je me doute que les personnes qui le liront n’ont pas forcément une capacité d’attention au beau fixe.
Merci pour ce témoignage poignant, usant… mais, comme toujours dans les témoignages sur le burnout, profondément humain et porteur d’espoir : oui, une autre voie et possible. Je vous souhaite à tous de la trouver.
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Ça commence par un problème au travail. J’ai changé de région pour celui-ci, quitté ma famille, mes amis… Pour moi, un rêve qui s’ouvrait devant moi, de multiple possibilités ! Et puis un problème arrive au bout de deux mois dans cette entreprise qui vient d’ouvrir, toute nouvelle, où j’ai participé à l’installation avec mes nouveaux collègues, où j’ai mis tout mon cœur, toute mon énergie… Au bout de deux mois, je me rends compte que je ne suis pas dans de bonnes conditions, ni dans une bonne dynamique d’équipe. Tous le monde se tire dans les pattes, alors que ce n’est pas vraiment ma philosophie de vie, pas dans mes valeurs. Qui fera le plus de chiffre, qui fera le plus de clients, dans quelles conditions, et à quel prix… C’est à mille lieues de la conception même que j’ai de mon métier !
L’abattoir
Au bout de deux mois, j’ai dans l’idée de d’arrêter, parce que ça ne me correspond pas. Mais je reste. Me répétant chaque semaine « ça ira mieux, ce n’est que le début ». Je tire jusqu’à ce fameux vendredi de mars 2020 – le lendemain était annoncé le premier confinement. Je suis convoqué à 19h30 par l’associée de la personne qui m’a recruté. Elle m’annonce que je ne fais pas l’affaire : pas assez de chiffre, et je ne suis pas épanoui dans ma vie perso, donc pas épanoui dans ma vie pro.
Ce jour-là a été un séisme qui m’a fait mal.
Le confinement étant annoncé, je rentre dans ma région d’origine. Je passe le confinement en colère, énervé, blessé. Un mot me vient pour décrire mon boulot : l’abattoir. « Je n’ai pas envie d’y aller, mais je suis obligé. »
L’interminable fin
Fin du confinement. J’appelle en annonçant que je souhaite quitter mon travail, mais que j’accepte de rester travailler jusqu’à ce qu’ils trouvent une personne pour me remplacer. Cette décision me vaudra un long chemin boueux, sur lequel il me semblait plus facile de sauter par la fenêtre que de dire stop.
J’ai tiré pendant 7 mois dans un lieu qui ne me convenait plus, en attendant qu’on trouve un remplaçant, avec « l’ambiance Covid » de l’entreprise et une clientèle qui vide tout son malheur sur nous. Et je prenais ça comme si c’était normal, sans même pouvoir dire « non, je ne suis pas capable de prendre ça dans ma gueule ».
Et puis durant ces 7 mois, j’ai de petits espoirs que ça se termine ! Quand au bout de deux mois un remplaçant est trouvé, je me dis que mon calvaire touche à sa fin. Mais j’ai dû rester 5 mois de plus quand cette personne n’a pas souhaité venir… Et c’est elle qui a eu raison.
La chute
Au bout de 3 mois, je me bloque le dos. Le corps me disait déjà stop… Je suis arrêté 2 semaines. Pendant ces 2 semaines, je reçois des messages tous les 2 jours : « quand peux-tu reprendre ? »
Je ne tiens pas debout, je n’ai plus de centre de gravité. Je ne peux rester debout qu’appuyé, ou allongé. Passée cette période, j’ai des vacances. Des vacances à penser à ça. Avec une promesse début septembre : « tu viens dans une autre entreprise ». Mon cauchemar continua quand septembre se transforma en décembre. Mentalement j’étais prêt. Physiquement j’étais cramé. Cramé : 1,80 m pour 50 kilos. J’en étais arrivé là, arrivé à dire à mon corps : « que tu suives ou pas, c’est pareil ».
Mais il m’a rappelé à l’ordre… Je commence ma journée normalement,15 minutes avant l’ouverture. Je tombe tétanisé, le cœur qui bat à 3000 à la minute. La solution qu’on m’a trouvée ? Me ramener chez moi sans passer par un médecin ou à l’hôpital. Je rentre, je suis à côté de la plaque, je ne sais plus où je suis, où j’habite. J’emprunte une porte qui n’est pas la mienne, mais je finis par arriver à mon appartement. Là, j’appelle un de mes parents qui me dit d’aller à l’hôpital.
J’appelle le 15. Je vais à l’hôpital.
La détente ?
Le médecin me dit que c’est une crise de tétanie, qu’il faut me détendre. Me détendre ? Les bars sont fermés, je n’ai pas spécialement d’amis : difficile de trouver le temps de s’en faire quand on est dans un rythme boulot-dodo-boulot-dodo… Ce rythme, j’y suis depuis 6 ans : pas de vie de couple, je n’ai pas le temps. Pas de sorties entre amis, je les ai quittés.
Arrive le mois de décembre, avec un black out. Un black out d’un mois complet ou j’ai travaillé 7 jours sur 7 sans qu’on me le demande, avec des horaires de malade : peu importe si j’avais le temps de pisser, de manger ou de vivre… il faut bosser !
J’avais l’impression (que je ne souhaite à personne) d’essayer de marcher toujours plus vite, d’en faire toujours, alors que le corps crie « NON ». C’est une sensation étrange, où le corps ne veut pas, ne peut pas aller plus vite, quand le cerveau lui ordonne le contraire. L’impression, finalement, d’être coupé en deux : le cerveau et le corps.
Devenu étranger à soi-même
Arrive enfin le 31 décembre : je pense que c’est la fin du cauchemar. Je suis en vacances du 1er au 4 janvier… mais je m’aperçois que je ne suis plus comme avant. Comme si on m’avait changé. Je ne me reconnais plus. Je n’arrive plus à me lever, aller faire des course me fatigue, aller pisser me fatigue.
Et on m’en demande encore, sans faire appel à mes compétences. On me demande de ranger, d’organiser. J’ai des compétences autres, qui peuvent apporter beaucoup, mais non : mon rôle c’est de nettoyer et ranger.
On me conseille d’aller voir une psy, j’y vais. Mais la descente aux enfers continue… Vous avez déjà bloqué sur une question comme « Avec quelles couleurs je vais écrire ? ». Je me suis même remis en question pour une histoire de gobelets ! Ne plus savoir prendre de décisions, ne plus savoir si on est capable de faire ceci ou cela alors qu’il n’y avait aucun souci 6 mois plus tôt…
Tout pour éviter de sauter
Et arrive une nouvelle période noire de black out. 2 semaines d’arrêt pour reprendre pied, éviter la noyade et éviter de sauter. De sauter par la fenêtre, je veux dire. C’était devenu pour moi la seule solution que je voyais pour en finir, car je ne voulais pas prendre de décision : j’attendais qu’on le fasse à ma place. Je pensais à sauter par la fenêtre. En me baladant, je regardais les arbres en me demandant si telle ou telle branche pouvait supporter mon poids. Mais j’ai la chance d’être entouré, d’être accompagné… Ce qui ne m’empêchait d’être avant tout paumé.
Vous vous doucher à 13h alors que vous êtes levé depuis 7h. Votre lit est votre ami et la seule solution pour vous protéger. Vous mangez parce qu’il faut manger, pas parce vous avez faim. J’ai commencé à boire du vin seul pour décompresser, réussir à dormir. Je n’ai pas continué longtemps.
L’arrêt salvateur
Et au bout de deux semaine d’arrêt, je dois prendre une décision : continuer tant bien que mal à ce rythme, ou arrêter, prendre le temps pour aller mieux. C’est en discutant avec une personne que j’ai le déclic « soit tu persistes et tu restes, soit tu pars : quand on n’est pas bien quelque part, on ne reste pas ». Pourquoi le déclic à ce moment-là ? Avec cette personne-là ? Je ne sais toujours pas.
Mais aujourd’hui je me suis reconstruit. Parce que ça fait du mal quand vous n’avez plus rien dans le bide pour avancer. Quand vous avez mis votre vie perso de côté pendant 6 ans. Le corps et la tête disent stop.
Sauf que cette reconstruction est plus difficile que de se détruire sans le vouloir, se tuer à petit feu ! J’ai tellement donné… J’aurais pu crever pour y arriver. Le corps a dit stop et la tête aussi.
J’ai 24 ans. Ça peut vous sembler jeune pour vivre ça… Mais vous n’avez pas l’histoire entière. Quand vous n’avez pas de vacances pendant 6 ans, que vous n’arrivez pas à décrocher de votre passion pour le boulot… Voilà où ça m’a mené. A un burn-out qui me pendait au nez depuis des années. Je ne souhaite à personne cette descente aux enfers qui peut vous dégoûter de l’humain comme de votre passion…
Ce que j’ai appris de mon burnout
Vous vivez pour votre boulot ? Sachez prendre du recul et décrocher parfois. Mon psy m’a fait faire un exercice : les « camemberts ». Dessinez un cercle, et représentez par des portions votre vie perso, votre vie pro, le temps que vous vous accordez pour vous-même… J’ai pris peur quand, sur mon camembert, j’ai vu 1% de perso pour 99% de pro… Ça fait réfléchir !
Ce que j’ai traversé, je ne le souhaite à personne, même pas à mon pire ennemi (encore faudrait-il que j’en aie un). En sortir détruit psychologiquement, physiquement, le payer des mois durant… Je ne suis plus la personne qui pouvait courir à tout va. J’ai tellement tiré que mon corps est épuisé.
Aujourd’hui, ça fait 3 mois que j’ai quitté mon travail, et j’ai repris 6 kilos. J’ai l’air toujours aussi maigre… je vous laisse imaginer où j’en étais quand j’étais au plus bas…
Alors sachez prendre du recul, n’essayez pas d’attendre que les problèmes se résolvent d’eux-mêmes, ne donnez pas plus que vous ne le pouvez. Quand vous êtes mal, parlez-en rapidement. Quand vous vous sentez mal à votre travail, parlez-en.
Aujourd’hui je ne regrette rien ! Il y a encore des haut et des bas, mais j’ai repris une liberté précieuse sur d’autres aspects de ma vie. C’était un risque de quitter mon travail, d’être aujourd’hui au chômage, sans percevoir encore de droits… mais tant pis : je ne le regrette pas une seconde.
Je revis.
Photo by Ybrayym Esenov on Unsplash
4 commentaires
Anonyme · 20 août 2021 à 14 h 58 min
Merci pour ce témoignage. Je me reconnais tellement ……pas le même âge, pas la même situation professionnelle mais exactement cette même détresse morale !
Et se reconstruire est long, très long parce que le corps a une mémoire incroyable !
Pierre Simonnin · 20 août 2021 à 15 h 50 min
Nos histoires ont beau être toutes différentes, nous avons tous beaucoup de points communs…
Bon courage pour cette reconstruction !
Delphine Baillet · 3 septembre 2021 à 0 h 19 min
Une bien triste expérience. C’est vibrant, lorsque l’on est passé par le même parcours on ressent toute l’intensité des émotions. L’acharnement à ne pas « faillir » à ne pas décevoir. L’autre et soi. Merci pour ce partage de témoignage et beaucoup de courage au victimes passées, présentes et futures de ce fléau sociétal.
Pierre Simonnin · 3 septembre 2021 à 10 h 35 min
Merci Delphine 🙏